À l'ère de la mondialisation et de la fast fashion, où l'originalité se perd de plus en plus, les marques nationales proposent non seulement un style ethnique, mais aussi une compréhension profonde de la culture kazakhe dans un contexte moderne. Cependant, face à l'intérêt mondial pour les marques locales, au Kazakhstan, un fossé subsiste entre les vêtements nationaux et la vie quotidienne. Nous avons discuté avec Meruert Aubakirova, fondatrice de l'espace culturel, designer et gardienne de valeurs, de la manière dont sa marque a marqué un tournant dans le développement de créateurs talentueux du pays et de la naissance d'une marque, empreinte d'une philosophie respectueuse des traditions, du code des ancêtres et de l'identité, suite à une demande personnelle.
Meruert, racontez-nous comment votre parcours a commencé ?
– « DӘSTUR » est né du désir de préserver et de repenser les traditions kazakhes dans un contexte moderne. Tout a commencé lorsque je cherchais un beau chapan moderne pour offrir à une amie qui avait épousé un Français. Malheureusement, le marché ne proposait rien qui reflète l'esprit du temps tout en étant profondément kazakh, avec une touche d'ethnicité et de respect des racines.
Aujourd'hui, notre marque conceptuelle n'est plus seulement une boutique, mais un espace culturel où le design devient un pont entre les générations. Loin de la nostalgie, nous recherchons un lien vivant et conscient avec nos racines. Notre logo fait même référence au soutien de la famille, des ancêtres, au fondement sur lequel tout repose.
Comment s'organise le processus de création d'un produit si l'on ne possède pas sa propre production ?
- Nous ne cousons pas nous-mêmes, et c'est là tout l'intérêt. « DÖSTUR » est un lieu qui réunit artisans, designers, artisans et acheteurs. Nombre d'entre eux savent créer de belles choses, mais ne savent pas se promouvoir. C'est une difficulté que je comprends parfaitement. C'est pourquoi nous avons créé un espace où les artisans peuvent exposer, vendre et communiquer avec le public. Je connais leurs difficultés : manque de personnel, recherche de tissus de qualité, long processus de fabrication à la main… La créativité ne se résume pas à une idée, mais aussi à un système de soutien stable.
Organisez-vous également des master classes dans votre espace ? De quoi s'agit-il ? Oui, mon objectif est de créer un lien entre les jeunes et les adultes, afin qu'ils partagent leurs expériences, parlent de leurs traditions et de leurs origines, et expriment leur respect et leur vénération pour leur famille et leurs racines. Le concept de ma marque et de mon hub est précisément de permettre aux artisans et designers talentueux de créer et de s'affirmer. À travers la décoration, les vêtements et les éléments d'intérieur ethniques, nous racontons l'histoire du passé et souhaitons que nos consommateurs reviennent à leurs origines.
Comment évaluez-vous l'état actuel de l'industrie ethnique au Kazakhstan ?
- Elle est en pleine formation. Il existe des designers talentueux, mais les plateformes accessibles sont rares. Ou alors, elles sont trop chères pour un jeune maître. C'est pourquoi nous avons créé « DÖSTUR » pour combler ce manque. Les ventes en ligne sont en croissance, mais il manque de points de vente physiques où l'on peut « sentir » les créations, les essayer et échanger avec l'auteur. Nous avons besoin de tels lieux « vivants ». Pourquoi les créations de designers kazakhs sont-elles plus chères que les vêtements grand public ?
- C'est une économie honnête. Nous ne pouvons pas produire des millions d'exemplaires. Les matériaux sont souvent achetés à l'étranger ; le pays ne dispose pas encore des ressources nécessaires en matières premières. Le travail est artisanal, les collections sont petites. Certes, c'est plus cher, mais il y a une histoire, une qualité et une âme derrière. L'originalité n'est pas bon marché.
Que faut-il pour que les vêtements et les créateurs nationaux deviennent véritablement populaires ?
— Nous devons créer un écosystème. Premièrement, des programmes éducatifs sur l'ethno-design et l'artisanat, afin que les jeunes connaissent non seulement les tendances, mais aussi leurs racines. Deuxièmement, un soutien aux startups et aux jeunes créateurs, des bourses aux collaborations. Troisièmement, il est nécessaire de rendre les collections plus accessibles pour que chacun puisse les porter au quotidien. Et, bien sûr, des événements de grande envergure sont nécessaires : foires éphémères, festivals, salons réunissant créateurs, artisans et public.
Où les créateurs en herbe peuvent-ils se faire connaître ?
— Lors d'expositions locales et internationales, sur des plateformes de mode. Et bien sûr, dans des espaces créatifs vivants, comme « DÖSTUR ». Ici, vous pouvez obtenir non seulement une étagère ou un coin, mais aussi des retours en direct, une communauté, du soutien et la possibilité de tester des collaborations. C'est la voie idéale pour se développer.
Quelle est la meilleure façon de promouvoir les marques locales au Kazakhstan ? Existe-t-il des mécanismes de soutien ?
— Nous sommes le mécanisme. Nous avons endossé un rôle de plateforme : nous réunissons les artisans, organisons des événements et créons une atmosphère qui donne envie de revenir. À travers une histoire personnelle, la rencontre avec un artisan, on tombe amoureux d'un produit. Et le principal conseil est de ne pas travailler seul. Communauté, collaborations, partenariat : ce ne sont pas que des mots à la mode, ce sont des accélérateurs de réussite.
Constatez-vous que la jeune génération ne s'intéresse pas toujours aux produits nationaux ? Pourquoi ?
— Le fait est que, par nature, les gens passent par plusieurs étapes. Les jeunes de moins de 20-30 ans ont d'autres priorités et ambitions. Ils pensent à l'essentiel, à la façon de subvenir à leurs besoins. Après 30 ans, la quête de soi et de son identité commence. C'est à ce moment-là que les gens commencent à étudier la créativité nationale, à s'habiller et à trouver leur propre code de personnalité. C'est donc une question de temps.
Pourquoi, à votre avis, le costume national n'est-il pas encore devenu une norme au Kazakhstan, comme c'est le cas en Ouzbékistan par exemple ?
- En Ouzbékistan, l'ethnicité fait partie intégrante de la vie. Femmes et hommes portent avec aisance des éléments nationaux au quotidien : au travail, en réunion, au café. C'est naturel. Mais chez nous, l'ethnicité est encore associée au Nauryz, à la scène et aux événements officiels. La tradition est comme « conservée dans un musée ». Pour changer cette perception, il est important de l'adapter aux codes modernes : introduire des éléments dans la mode quotidienne, promouvoir l'identité visuelle des marques, impliquer des artistes, des influenceurs et des musiciens afin qu'ils montrent par leur exemple que l'ethnicité est belle, pertinente et moderne.
Qu'est-ce qui inspirait nos ancêtres lors de la création de vêtements, et comment cela fonctionne-t-il aujourd'hui ?
- Chaque élément avait une signification. L'ornement était un talisman. La coupe reflétait la vie quotidienne, le climat et le mode de vie. Les vêtements féminins soulignaient le statut social, les vêtements masculins le courage. L'histoire d'une personne se lisait à travers les vêtements. Aujourd'hui, les créateurs s'inspirent de ces principes : ils repensent les formes et les symboles et les adaptent aux vêtements, détails et accessoires modernes. C'est une façon de préserver une tradition vivante, sans musée, sans vitrine.
Quelle tradition est particulièrement importante et proche de vous ?
— Sans aucun doute : l'hospitalité. Ce n'est pas seulement une tradition, c'est une philosophie. Respect, patience, générosité d'esprit : tout y est. Je souhaite vraiment que nous ne perdions pas la chaleur des rencontres en personne et que nous nous retrouvions au dastarkhan, pas seulement pour les fêtes. Malheureusement, nous nous rendons de moins en moins souvent visite, nous nous sommes européanisés, nous nous renfermons. Ce n'est ni une bonne ni une mauvaise chose ; cela a simplement changé. Mais l'hospitalité est notre code culturel, et il est important de le préserver.