« Chaque morceau de viande est respect, histoire et tradition »

« Chaque morceau de viande est respect, histoire et tradition »

Asemgul Kabeldinova, propriétaire de l'entreprise familiale et fondatrice du magasin Eco et, parle de la culture de la viande kazakhe, de ses traditions oubliées et de sa mission de préserver le code national à travers un rituel spécial consistant à offrir aux gens le « Tabak tartu ».

Découvrez-nous comment l'idée de se lancer dans le commerce de la viande est née ? Était-ce une question d'âme ou la continuation de l'entreprise familiale ?

La viande n'est pas seulement un aliment. C'est l'essence même de l'identité kazakhe. Depuis l'enfance, nous avons grandi avec l'odeur de la viande sur la table. Chaque fête familiale, chaque jouet, chaque shildekhan ou chaque zhanaza était accompagné d'une friandise à base de viande. C'était ainsi avec mon père, c'était ainsi dans chaque village. Mais l'idée de s'y consacrer sérieusement est venue bien plus tard.

Avec le temps, nous avons constaté que la viande cessait d'être ce qu'elle était pour nos grands-parents. Les gens ont commencé à oublier non pas le goût, mais la signification de la viande. La culture disparaît, le caractère sacré se perd. Puis nous avons réalisé que nous ne voulions pas seulement vendre de la viande, mais faire revivre des traditions perdues. Permettez-moi de vous rappeler qu'en Kazakh, la viande est un signe de respect, une façon d'exprimer la révérence, un langage sans mots.
C'est devenu la continuité de l'entreprise familiale. Et en y regardant de plus près, on réalise que la viande n'est pas seulement un produit pour nous, c'est quelque chose qui touche l'âme. Dans la culture kazakhe, la viande est toujours synonyme d'hospitalité, de statut et d'honnêteté. Et chaque tabak est une histoire à part entière, derrière laquelle se cache toute une philosophie.
Que signifie la viande pour vous dans la culture kazakhe ? Pourquoi est-elle considérée comme faisant partie du patrimoine spirituel ?
– Pour les Kazakhs, la viande n'est pas seulement un aliment, c'est le code spirituel et culturel de la nation. Chaque os, chaque partie de la carcasse de l'animal porte une signification particulière. C'est le langage de l'éducation, du respect et de la hiérarchie. Mais le plus important, c'est l'art de servir le « Tabak tartu ». Tout le monde ne le maîtrise pas ; il faut le ressentir avec son cœur.
Chez nous, il existe une véritable science, le « zhilіkteu », l'analyse des carcasses. Elle permet de déterminer l'âge, le statut et même le degré de parenté d'une personne. Savoir découper et servir correctement la viande fait partie intégrante de l'étiquette nationale.
Aujourd'hui, malheureusement, beaucoup de jeunes ignorent ces subtilités. Nous avons compris que notre mission ne se limite pas à vendre de la viande, mais aussi à transmettre le savoir, à expliquer ce qui se cache derrière. Ce n'est plus seulement un commerce, c'est une mission spirituelle.
Où avez-vous appris les subtilités de la découpe traditionnelle de la viande et l'étiquette de son service ?
- J'ai appris cela dès mon plus jeune âge. J'observais mes parents, mes aînés. Mon grand-père, en particulier, m'a transmis beaucoup de connaissances. C'était un véritable maître en la matière. Chaque fois que des invités venaient chez nous, il ne se contentait pas de découper la viande : il expliquait respectueusement à qui, quelle partie était servie et ce que cela symbolisait.
Ata a été mon premier et plus important professeur. Plus tard, j'ai beaucoup appris des aksakals du village. Voyez-vous, il ne s'agit pas seulement de cuisine. C'est une question de tradition, de respect, de philosophie de l'hospitalité. Quelles sont les règles du « Tabak tartu » ? Comment la hiérarchie traditionnelle du service de la viande est-elle structurée ?
– Selon la tradition, après l'abattage et la cuisson de la viande, chaque morceau est servi selon un certain principe. L'âge, le statut social, le degré de parenté et même le sexe du convive sont pris en compte.
• Bas (tête) est la forme la plus élevée de respect. Elle est généralement servie à l'invité le plus âgé ou le plus honoré.
• Zhambas, ortan zhіlik (os de la hanche et du fémur) – pour les invités plus âgés et respectés.
• Kazy, zhaya, sur et (délices) – sont également offerts aux aînés ou aux invités spéciaux.
• Kari jilik (vieil os) — souvent servi aux jeunes ou aux gendres, avec un indice : « Tu es encore jeune, étudie. »
• Tokpan jilik, bel omyrtka (os de longe) — destiné aux invités ayant un statut particulier, parfois aussi au gendre.
• Kuyymshak (coccyx) — généralement servi aux femmes, en particulier aux marieuses et aux épouses de parents.
• Tos (poitrine) — servi à la belle-fille ou à la jeune femme, parfois au gendre.
• Shuzhyk, omyrtka, kabyrga (saucisse, vertèbres, côtes) — le plus souvent — pour les enfants et les jeunes.
Ce ne sont pas de simples règles, c'est le langage du respect et de la hiérarchie, un gage de compétence et une culture de révérence, où rien n'est laissé au hasard.
– Quel rôle joue le « Tabak tartu » aujourd'hui ? Que signifie-t-il pour vous ?
– Aujourd'hui, le « Tabak tartu » est synonyme de respect des aînés, de bonnes manières et d'engagement envers l'identité nationale. On dit : « Konak - Kudaydin elshisi », autrement dit, un invité est un messager de Dieu. La façon d'accueillir un invité, ce que l'on met dans son tabak, témoigne de la culture de toute la famille.
Chaque élément est à sa place. Ce n'est pas seulement une tradition, c'est une façon de préserver le code culturel, de maintenir le respect, la compréhension et l'harmonie. Certes, les temps changent, mais le respect des aînés, la subordination et l'ordre doivent toujours perdurer.

Si nous n'y prenons pas garde, la nouvelle génération percevra la viande comme un aliment ordinaire. Pour un Kazakh, la viande est le symbole de la tradition, l'honneur de la famille, une façon d'exprimer sa culture. Préserver cette hiérarchie, c'est préserver le respect des ancêtres, la loyauté envers la culture et donner un guide moral aux générations futures.


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19.07.2025